Bienvenue dans la nouvelle rubrique de ce blog, Sous la plume de Servi’Plume ! Découvrez chaque mois un·e artiste, un·e passionné·e, une personnalité qui éveille ma curiosité et partez à la découverte de son univers à travers trois questions simples, appelant des réponses authentiques. C’est parti ? C’est la fantastique Rylee qui ouvre le bal !
« Je suis la maman d’un minus de quatre ans, une quarantenaire king size créative attirée par le domaine artistique depuis son plus jeune âge, qui a pris des chemins plus sages, mais que l’art a fini par rattraper. Après presque dix-huit ans passés dans l’immobilier, la vie m’a menée vers la performance scénique. Rylee était le prénom d’une de mes chiennes – j’adore les animaux que je considère comme des membres de ma famille à part entière en me contrefichant de ceux qui ne le comprennent pas – avec qui j’ai vécu onze belles années. J’aimais ce blaze original que j’ai emprunté et utilisé pour tous mes réseaux. La Stéphanie plutôt timide que j’étais a su s’épanouir en une Rylee plus fofolle et délurée qui s’est éclatée lors de représentations en mode burlesque décalé. Petit à petit, ces deux personnalités ont fusionné et je suis aujourd’hui authentique à la scène comme à la ville, assumant mes formes, mes projets artistiques et mon rôle de mère selon mes valeurs et ma vision de la vie. »
Rylee, qu’est-ce qui la fait vibrer ? « Plein de choses ! J’adore créer, inventer, refaire les choses à ma sauce ! Je pense qu’à mes débuts dans la performance scénique, j’avais à cœur d’apporter ma petite pierre à l’édifice dans le combat contre la grossophobie. Nous étions loin alors d’en être à cette vision actuelle du body positive qui commence tout juste à trouver sa place et à un changement de point de vue de la part de la médecine sur l’obésité et ses causes. Alors imaginez ce qu’il en était du « et si on pouvait être gros·se et heureux·se ? » J’ai toujours eu, je crois, en moi ce militantisme que j’ai réussi depuis à incarner au sein de performances scéniques, de séances photos ou que l’on retrouve souvent dans mes illustrations. Bien que cela avance trop lentement à mon goût, je suis contente de voir que les choses évoluent. Encore une fois j’essaie d’apporter mon pavé à l’ouvrage en l’intégrant dans un autre domaine qui me fait kiffer, la mode ! Mais la mode façon Rylee, une mode libre, authentique et vintage, loin de tous les standards et des modèles imposés tant par l’industrie du luxe que par la fast-fashion. Mon plaisir à moi, qui rejoint mes convictions écologiques et économiques, c’est la seconde main, le vintage, la fripe, et le granny. J’aime chiner des pièces fabriquées dans le passé, les associer entre elles pour créer un nouveau look pétillant et décalé. Non pas pour être décalée. Mais parce que ça fait partie de moi et que ça me fait vibrer ! Depuis toute petite j’écume les brocantes avec mes parents et le fait d’avoir grossi sur le tard m’a appris à chercher d’autres façons de m’habiller. J’ai découvert l’e-bay anglais et ai tout de suite aimé associer des pièces originales qui, une fois portée, me procuraient un énorme kiff. Les bananes et les crocs font partie intégrante de ma garde-robe préférée. Ce sont ces expériences qui m’ont conduite à proposer mes propres drops sur Instagram. Un drop est une petite collection qui présente de l’unique sur un thème donné. Pour le moment j’en ai proposé deux, un drop robes de mamie et un autre inspiré par le dessin animé Tous en scène. Ces univers colorés, kitchs et qui ne demandent qu’à être dépoussiérés me passionnent. Et une chose me tient vraiment à cœur : chiner du grande taille pour permettre aux king sizes women de s’habiller avec style et originalité. On ne se refait pas ! Le drop me passionne, il me permet d’allier tout ce que j’aime : le vintage, mon engagement pour la seconde main et contre la grossophobie, la créativité, les fringues. Je m’éclate ! Mais c’est un domaine dans lequel percer prend du temps. Je suis cependant persuadée qu’il représente une super alternative à la fast-fashion à cause de laquelle tout le monde est habillé pareil, qui pique ses idées à droite et à gauche sans rien créer et qui propose certes de la grande taille, mais de mauvaise qualité. Mes robes de mamie, elles, sont toujours intactes après quarante, cinquante, voire soixante ans d’existence. Si ça, ce n’est pas un gage de qualité ! Mes nombreux tatouages sont également une façon d’exprimer ce qui me fait vibrer. Toute mon histoire est symboliquement encrée sur ma peau et mon bras gauche est entièrement dédié à mon fils. C’est à seize ans que j’ai rencontré un bel anglais, mon premier love, grâce à qui je suis tombée amoureuse des Anglais et des tatoos. À dix-huit ans, je séchais les cours pour faire faire mon premier microtatouage. Chaque moment important de mon existence a ensuite donné lieu au même rituel. Cet univers et ces passions qui me définissent sont aussi porteurs de valeurs qu’il est important pour moi de transmettre à mon fils. Avec lui, je dois bien avouer que je m’éclate également ! Je le look à l’envi, sans jamais tenir compte d’un style ou d’un genre. Je vois une pièce, je la prends, peu importe qu’elle soit classique, vintage, estampillée fille ou garçon. J’imagine immédiatement avec quoi l’associer et je m’amuse ensuite à accessoiriser l’ensemble. Et puis j’essaie de nous accorder l’un l’autre niveau couleurs. Du haut de ses quatre ans, il adore ça et les séances photos qui suivent. Et puis papa aime l’habiller aussi, dans un style plus urbain-métal qui lui va bien également. Je lui apprends l’acceptation de la différence. Souffrant de handicaps invisibles, je suis à même de lui transmettre certaines valeurs. J’aime à penser que je le sensibilise également à l’écologie et à la tolérance envers les personnes LGBTQ+. Et comme on habite en ZEP, ses amis sont originaires des quatre coins du monde et on adore ça. J’ai toujours aimé créer et c’est grâce à des cours du soir à l’école Boulle que j’ai pu apprendre à fabriquer des bijoux et accessoires de tête. Si cela n’est plus d’actualité, j’ai adoré cette activité. C’est le même plaisir que je ressens aujourd’hui lorsque je me plonge dans mes illustrations. Oui je suis rêveuse, mais ne vous fiez pas aux apparences, je ne suis capable de rien si je ne travaille pas devant un bon film d’horreur ! »
Rylee, c’est quoi son actu ? « Continuer à proposer des drops funs et accessibles aux grandes tailles. Toujours de seconde main et pourquoi pas inspirés d’autres dessins animés… J’aime leurs univers colorés, ça me va bien. J’ai également l’intention de rester libre. Je suis telle que je suis, je veux sortir et faire ce que je veux tel que je suis. Je suis en effet, comme tout à chacun, bien plus qu’un corps (non normé). Je n’ai pas à assumer ma façon d’être, ni de paraitre, je suis comme ça. Je suis moi. Je vais continuer à militer contre la grossophobie à ma façon, en mettant l’art au service de la cause. Je ne veux rien imposer, je veux juste montrer qu’être gros·se et heureux·se, c’est possible. Je vais bien sûr continuer l’illustration. Et peut-être même me lancer dans celles pour enfants. J’ai récemment créé des affiches pour l’école de mon fils et devinez quoi ? J’ai adoré ! Et vous n’êtes pas à l’abri de me retrouver sur des séries de photos artistiques et engagées ! »
Paris. Passerelle du Pont des Arts. Dix-sept heures, un après-midi de la fin du mois d’octobre. Il fait froid, mais un froid sec comme Lise les aime. « Mets ton imper, Chachou, allons voir Paris, encore. »
Chachou ? C’est moi. Et ce que Lise veut, Chachou le lui offre. Alors, j’enfile mon imperméable beige, attrape mon chapeau et ma sacoche tout en apportant à ma douce son joli manteau noir. Il est seize heures vingt-cinq. Bien que nous habitions tout à côté, nous n’arrivons sur la passerelle qu’à dix-sept heures. Ça marche doucement des vieux comme nous, et puis surtout, ça prend son temps.
« Regarde Chachou, la Tour Eiffel ! » Parfois, je me demande : « comment elle fait, Lise ? » Nous résidons à Paris depuis plus de cinquante ans, à nous deux nous avons cent soixante-quatre années, et ma Lise c’est toujours la même gosse qu’autrefois, émerveillée par la Tour Eiffel qu’elle voit presque tous les jours. Alors oui… Comment elle fait, Lise, pour se laisser surprendre ainsi encore, et encore ? C’est quoi son secret ? Sa formule magique ? « Oui, je la vois, la Tour Eiffel. Et regarde, là-bas, Notre-Dame qui nous observe. » À ces mots, elle se tourne un peu sur sa gauche, glisse ses yeux dans les miens et me tend le plus beau de ses sourires. « Ne me regardez pas comme ça, belle gosse, ou je vous épouse… »
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La salle est pleine. Pleine de cette fumée nauséabonde, pleine de ces yeux lourdauds, voyeurs et impatients, pleine de ces bonshommes en costards dont l’élégance recouvre la laideur comme un coup de peinture voile la pourriture d’un mur. La musique commence et le rideau s’ouvre. Elle, la peau blanche, les cheveux blonds vénitiens, recouverte d’un collant en résille noire et d’un bustier rouge qui fait écho à ses lèvres, entame sa chanson. Sa voix est suave. Je voulais partir, mais je ne peux plus bouger. Ses hauts talons claquent sur les escaliers lorsqu’elle descend au milieu du public, tout en continuant à chanter son air enjôleur.
Elle déambule, touche un menton, plonge dans un regard, s’assoit sur une paire de genoux. Mon sang bout dans mes veines. Je déteste. Je déteste ces salopards qui la regardent en bavant déjà, imaginant sans doute leurs mains dégueulasses parcourir son corps si doux. Ils sifflent, ils laissent sortir leurs rires gras, ils crachent la fumée de leurs barreaux de chaise en la regardant d’un air insultant. Ils hurlent maintenant alors qu’elle se penche. Ma respiration s’accélère, je sens mes jambes qui fléchissent, je suis prêt à bondir. Je scrute, je halète, je protège, tel un chef de meute. J’attends le signal. Il arrive. Je le sens. Ça y est ! Un de ces gros porcs la saisit par la taille et veut plonger sa bouche immonde entre ses seins. Je m’élance, en deux bonds je suis sur lui. Il lâche sa proie et me traite de sauvage. Je ne lui laisse pas le temps d’aboyer davantage, lui file une torgnole et l’attrape par les parties. « Respecte la dame, ou je te castre espèce d’enfoiré ! » Il me supplie de le lâcher. Je montre les crocs à deux trois de ses congénères qui espèrent me frapper par surprise. Mais mes sens sont à l’affût. Ils reculent. Je le lâche, tout en prenant un malin plaisir à renverser son verre de whisky sur son entrejambe.
La belle est retournée en coulisses, certainement secouée. J’attends à l’extérieur, je veux la voir, je veux savoir si elle va bien. Les Mouettes. Quel nom ringard ! Je n’ai pourtant rien contre les cabarets, je ne suis pas le dernier à aimer entendre et regarder les femmes qui s’y produisent. Mais celui-là… Tout y est aussi laid que la plaque, à l’entrée, qui en indique le nom. Les Mouettes… Le bruit de la porte qui claque me tire de mes pensées. Elle sort enfin, elle est en larmes. Un gros moustachu puant ouvre à nouveau et hurle « et que je ne te revois pas trainer dans le coin, bonne à rien ! » Je cours prêt à lui faire sa fête à lui aussi, mais sa main à elle, délicate et douce, se pose sur mon avant-bras. « Ne faites pas ça, il n’en vaut pas la peine. Vous saignez ? Vous en avez déjà bien assez fait pour moi. » Je saigne du poing. Je ne m’en étais même pas aperçu. Je souris. Si moi je saigne, l’autre chacal à l’intérieur, doit se moucher rouge. « Je ne suis pas une bonne à rien, vous savez. Moi je veux juste chanter, j’aime ça. C’est pour ça que mon cœur bat. Hector m’a donné ma chance, je ne lui en veux pas. Les hommes qui me regardent, ça, je n’aime pas. Mais… ça faisait partie du contrat. Jamais, de toute leur vie, mes parents ne doivent savoir cela…»
Je la revois sur scène, si belle, si sensuelle, mais si tendre, tellement loin de ces regards infâmes qui la salissaient. Elle me dévisage. Je transpire, ma poitrine va éclater. Elle ne pleure plus. Elle me prend par la main, nous marchons quelques pas. Puis elle s’arrête et m’annonce : « Je m’appelle Lise. -Moi c’est Jacques. -Enchantée. Et Merci. » Ses yeux émeraude transpercent mon âme. « Ne me regardez pas comme ça, belle gosse, ou je vous épouse… »
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Un an après, nous étions mariés. Ce ne fut pas simple du côté de ses parents. Rentrant de mon service, je devais faire mes preuves à leurs yeux. Lise aimait chanter et moi je prenais du plaisir à travailler le bois, à créer des objets. Aidé par son père pour les formalités, j’ai intégré l’école Boulle, non loin du Faubourg-Saint-Antoine. J’étais si heureux. Ma vie prenait soudainement tout son sens. Lise, le bois… Sa famille m’accepta petit à petit, au fil des mois, et c’est dans la joie que nous nous épousâmes le 19 juillet 1952, le jour de la Saint-Arsène. Il était fier son père… Marier sa fille le jour de sa fête ! Les années se sont écoulées, nous avons été très heureux. Lise n’eut pas à plaire à ma famille. Je suis orphelin. Mes parents sont décédés dans l’incendie de leur maison alors que j’avais deux ans. Je fus sauvé in extremis. Sans grands-parents, je grandis dans deux familles d’accueil, puis fus solitaire jusqu’à ce soir de 1951 où je rencontrai celle qui allait devenir ma merveilleuse femme. Un soir, je rentre de l’atelier et m’inquiète de ne pas trouver Lise à la maison. Après quelques minutes qui me semblent être des heures, elle pousse enfin la porte de notre studio. Elle affiche un sourire radieux et porte une bouteille de champagne dans la main gauche et une boîte de pâtisseries dans l’autre main. « Ah mince, Chachou, tu es déjà rentré ! »
Un jour, alors que nous chahutions, elle m’appela Chachou. Cela nous fit rire et je ne l’entendis ensuite que rarement me nommer Jacques. Quand cela arrivait, d’ailleurs, mieux valait que je me fasse tout petit. Cela signifiait que ma Lise n’était pas à prendre avec des pincettes.
« Oui, j’étais inquiet, tu ne m’as pas dit que tu devais sortir. Du champagne ? En quel honneur ? » Me souriant toujours, elle ne répond pas immédiatement. Elle pose délicatement la bouteille sur la table, sort deux flûtes de notre meuble de salon, et verse les petits fours sucrés dans une assiette. « Chachou, j’ai une grande nouvelle ! Tiens, voici un cadeau pour toi ! ». Elle me tend alors un paquet fait à la va-vite avec du papier journal. Je suis perplexe. « Qu’est-ce que c’est ? -Eh bien ouvre chéri ! -Mais ce n’est pas mon anniversaire. -Rho, mais ouvre je te dis ! » Je me hâte maintenant, arrachant le papier et j’ai le souffle coupé. Les larmes me montent aux yeux, je hurle ma joie. Il s’agit d’un poupon acheté dans un magasin de jouets. Il porte un linge blanc sur lequel Lise a écrit au feutre noir : « Bonjour Papa ». Je me lève et porte ma Lise contre mon torse, la soulevant dans les airs. Nous allons avoir un enfant. Quelle joie ! Nous sommes tellement heureux ! Le soir même, nous faisons l’amour, encore plus amoureux l’un de l’autre. J’ai l’impression de découvrir une nouvelle amante. Bien sûr, c’est toujours Lise, mais c’est aussi la mère de mon enfant. Encore plus que jamais je suis fou amoureux de cette femme.
Je travaille pour un ébéniste dont l’atelier est situé non loin de l’école Boulle. J’ai emmené quelques viennoiseries et du cidre pour fêter la grossesse de Lise avec mes collègues. Enceinte de trois mois et demi, elle accepte enfin que nous annoncions la grande nouvelle autour de nous. Chacun y va de son commentaire sur les nuits trop courtes à venir et les parties de jambes en l’air trop rares à suivre. L’ambiance est bon enfant. Je me mets au travail alors que le père de Lise débarque à l’atelier, accompagné par mon patron qui baisse la tête. Arrivés à ma hauteur, les deux hommes me disent à quel point ils sont désolés, et mon beau-père m’annonce que Lise est à l’hôpital. Elle a perdu le bébé. Mon cœur explose, mes jambes lâchent, j’ai l’impression que plus jamais aucun son ne sortira de ma bouche. Pourtant je hurle. Je hurle de douleur et de colère. Mon beau-père me demande de me calmer, mais je n’en ai aucune envie ! Lise ! Je ne pense qu’à elle, je ne veux qu’une chose, être à ses côtés. Je cours. Arrivé à l’hôpital le plus proche de notre studio, je suis perdu. Je m’écroule et mes profonds sanglots envahissent le hall. Une infirmière vient à moi, me relève et me demande si je viens voir un proche. Je lui réponds que ma femme est ici, qu’elle a perdu notre bébé. Elle me conduit à la porte de sa chambre. J’entre. Lise est allongée et regarde par la fenêtre. Son oreiller est inondé de larmes. Elle tourne péniblement la tête et me regarde.
« Je suis désolée… », me murmure-t-elle. Je n’arrive pas à parler, je l’observe. Que se passe-t-il dans son esprit ? « Tu m’aimes toujours, mon Chachou ? Tu m’aimes encore, même si je ne sais pas porter ton enfant ? -Je t’interdis de dire ça Lise. Tu n’y es pour rien. L’infirmière m’a dit que c’est un risque pour tout le monde, que c’est un coup de pas de chance. Je t’aime, et je suis sûr que tu seras un jour une merveilleuse maman, que nous serons toi et moi, de bons parents. »
Ce ne fut pas facile, les jours, les semaines, les mois d’après. Lise tomba en dépression. Quant à moi, le travail me sauva. Pendant que je sculptais le bois, je ne pensais pas. Entourée de ses parents, Lise reprit des forces. Comme je suis fière d’elle. Un soir, en rentrant à la maison après une journée de travail, j’annonce à ma femme : « Chérie ! Mon salaire devient très confortable, les chœurs que tu fais par-ci par-là nous assurent quelques belles économies. On quitte ce studio et on achète un appartement digne de ce nom, d’accord ? » Lise est folle de joie. Tous les soirs ou presque, nous nous aimons. Nous sommes bien décidés à avoir un enfant. Après quelques mois de doutes et un certain découragement, un soir du mois de novembre 1957, nous apprenons que Lise est à nouveau enceinte. Suite à sa fausse couche, elle est suivie de près par les sages-femmes et son gynécologue. Elle décore la chambre de notre futur fils en chantant. Je l’aime de toutes mes forces. Antoine nait le 21 juin 1958. Trois kilos deux cent cinquante grammes, quarante-neuf centimètres, le plus beau des bébés.
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Lise est une mère aimante, à l’écoute, passionnée par son fils. Nous avons bien essayé d’avoir un second enfant, mais la Vie en a décidé autrement. Antoine n’en souffre pas, je pense, puisque, occupés par nos métiers, nous ne sommes pas sans arrêt sur son dos, et que préférant les jardins d’enfants à la nourrice, il grandit entouré de beaucoup d’autres bambins. C’est un petit garçon sociable et attentif aux autres, un adolescent complexé et fuyant, un jeune homme accompli et passionné d’hélicoptères. Un après-midi de mai 1977, ce que Lise et moi redoutons le plus, arrive. Antoine nous annonce qu’il s’engage dans l’armée suite à son service et qu’il sera formé afin de devenir pilote. Je rassure ma Lise comme je peux, partagé entre la fierté paternelle pour un fils qui va au bout de ses rêves et la peur légitime qu’il mette sa vie en danger. Basé en Allemagne, il nous écrit une fois par mois. Parfois nous envoyons un colis. Très souvent, nous guettons ses courriers comme les enfants attendent les cadeaux du Père-Noël.
Je n’oublierai jamais le regard de Lise lorsque, la veille d’un Pâques, Antoine sonna à la porte d’entrée de notre maison, un bouquet de fleurs à la main, ravi de l’effet produit par sa visite surprise. Si vous aviez vu son sourire, à ma douce, ses larmes parcourant ses joues telles des perles, ses bras grands ouverts… Si vous l’aviez vue, ma Lise, alors que quelques mois plus tard deux militaires nous annonçaient que le corps de notre fils serait rapatrié d’Allemagne, le lendemain, suite à un accident d’hélicoptère. Si vous l’aviez vue, effondrée, rageuse, anéantie.
Moi ? J’ai l’impression de mourir. Mais je ne peux me le permettre, sinon, ma Lise sera morte aussi. Alors je vis, je survis, pour qu’elle respire. Je travaille plus dur encore, je l’emmène en voyages, je raconte des blagues, j’invite des amis en week-end, je l’aime. Je l’aime si fort. Et même si, au bout de longs mois, de longues années, elle semble à nouveau rire et chanter, son cœur est fermé. Pas mort, non. Lise est un être d’amour. Mais fermé. Parfois, elle accepte de me donner la clef, parfois elle préfère me laisser dehors. Elle me dit mille fois : « Je t’aime toujours hein, mon Chachou, mais tu sais bien qu’une partie de moi a péri le jour où lui nous a quittés ». Oui, je le sais… Cela n’est pas facile tous les jours, et, même, une fois, je le fais presque. Je manque de plonger dans le corps d’une autre femme. Non pas que je n’aime plus ma Lise, mais juste parce que j’ai besoin qu’on me serre fort, qu’on ait envie de moi. Je rêve de sentir une femme vivre contre moi. Finalement, je ne le fais pas.
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Alors que nous sommes là, sur cette passerelle du Pont des Arts que nous aimons tant et que je lui tiens la main, je me dis que c’est ainsi qu’elle fait, ma Lise. C’est ainsi qu’elle survit, s’émerveillant pour la millionième fois de voir la Tour Eiffel, se baladant quotidiennement dans Paris. Comment ne pas mourir après avoir perdu deux enfants, si ce n’est en laissant le quotidien devenir magique à chaque occasion ?
Avant-hier, le diagnostic est tombé. Alzheimer. Nous n’en sommes qu’au début. Alors, je serre fort sa main et, de temps en temps, sentant la pression de mes doigts sur les siens, elle se tourne vers moi et me sourit en me glissant quelques « je t’aime ». Je redoute. Je redoute qu’un jour elle ne m’aime plus, qu’elle ne puisse plus profiter de nos balades parisiennes. Je redoute de perdre à petit feu cette femme qui a fait de ma vie la plus belle des aventures. Bon, je dois bien admettre qu’on peut en tirer quelques avantages. Si je fais une bourde, elle l’oubliera rapidement, elle ne s’apercevra bientôt plus du fait qu’elle est malade et puis… elle oubliera le poupon et Antoine.
Mais, savez-vous de ce dont j’ai le plus peur ? C’est qu’un jour elle me dise « dites-moi mon cher Monsieur, c’est quoi la Tour Eiffel ? ». Alors, en la fixant droit dans les yeux, je lui répondrai sûrement : « ne me regardez pas comme ça, belle gosse, ou je vous épouse. »
L’écrivain public est un professionnel de l’écriture, descendant des scribes de l’Égypte Antique. Ces derniers, uniquement des hommes, étaient les seuls à recevoir l’instruction et à savoir écrire et compter. Ils gravaient sur le marbre ou la pierre tout ce qui était amené à être conservé : les lois, les comptes… Au fil des siècles, les choses ont évolué, l’instruction s’est étendue, mais pas suffisamment pour atteindre toutes les catégories sociales. L’écrivain public a donc longtemps accompagné celles et ceux qui ne savaient pas écrire.
L’écrivain public aujourd’hui
Si sa mission, l’accompagnement rédactionnel, reste la même, l’écrivain public est en mutation. Après avoir été quasi nul à certaines périodes de notre Histoire, le nombre de professionnels est en plein essor et les besoins sont de plus en plus variés. Ainsi, aujourd’hui, un écrivain public peut avoir à rédiger un CV, une lettre de motivation, un courrier, mais également un dépôt de plainte, une demande en mariage, un discours, un hommage… C’est d’ailleurs cette diversité qui rend notre profession tout à fait passionnante.
Les 4 meilleures raisons de faire appel à un professionnel de la rédaction
1 ) Obtenir un écrit de qualité
Vous avez besoin d’un courrier, ou de tout autre support, bien rédigé, sans aucune faute d’orthographe, de concordance des temps et à la syntaxe fluide et construite ?
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Vous voulez un document qui vous ressemble ? Vous n’êtes pas convaincu·e par les modèles en ligne de CV ou de courriers ? Vous souhaitez être consulté·e lors de la correction ou de la réécriture de votre texte pour que celui-ci reflète votre personnalité ?
Alors n’hésitez plus, l’écrivain public est LE professionnel qu’il vous faut !
[Chronique sur GUY, un film d’Alex Lutz, rédigée à l’occasion de l’avant-première à Rouen, publiée sur le site de TST Radio (août 2018)]
Le public rouennais au rendez-vous
Quatre-cent-cinquante personnes ont fait le déplacement pour cet évènement de la rentrée cinématographique. Trente minutes avant le début officiel de la projection, le parvis du cinéma bouillonne. Vincent Blanchard et Romain Greffe (deux artistes rouennais travaillant depuis dix ans avec Alex Lutz et membres du groupe Joad), les compositeurs des titres qui rythment le film, sont présents et échangent déjà avec les futurs spectateurs. À l’intérieur, la salle se remplit, le directeur et le programmateur livrent une petite (grande) bafouille, les lumières s’éteignent, et enfin… GUY !
GUY, un docu-fiction, explorateur d’émotions
Guy Jamet est un chanteur septuagénaire ayant défrayé la chronique dans les années 70’ et 80’. Toujours animé par l’envie (le besoin) de chanter, il revient avec ses tubes légendaires (Dadidou, Caresse…) réorchestrés. Un jeune journaliste, fils illégitime du chanteur (no spoil, cette donnée n’est pas un secret) va le filmer tant sur scène que dans l’intimité. Prétextant vouloir faire découvrir le vrai Guy Jamet au public, il va bien sûr lui-même partir à la rencontre de son père.
Les cinq premières minutes installent l’univers du film. Une seule caméra (deux lors des captations de concert, précisera Alex Lutz, acteur et réalisateur du film, lors du débat suivant la projection) portée à bout de doigts par Gauthier, le journaliste (Tom Dingler), et un festival d’émotions. Guy a vécu, comme on dit. Il a connu le succès, l’amour, la scène, la fête, la drogue, les femmes, il a frôlé la mort, alors on ne lui fait pas ! C’est un homme intrigant, passionné, colérique, profondément humain, non raisonnable, brut de décoffrage, addict, amoureux. C’est un artiste, un ex-mari, un mari, un père, un amant, un homme de scène, un amateur d’équitation, une légende peut-être un peu oubliée qui refuse qu’on l’oublie.
La salle se balade entre fous rires, compassion, larmes, entre concerts et scènes paisibles (ou presque) à la campagne, entre vie de troupe et solitude profonde, soumise au bon vouloir de Guy parfois extrêmement drôle et parfois si fragile, si dur, si simplement humain.
Alex Lutz, profession : artiste !
Au-delà d’exercer un métier artistique, Alex Lutz est un artiste dans sa définition la plus pointue. Il cherche, il crée un univers, il découvre, il teste et utilise tous les outils. Il plonge le public dans un réalisme naturaliste, fige les détails utiles à la compréhension générale de l’histoire, utilise son corps, le maquillage, les acteurs, la musique, le rythme, afin de sublimer l’œuvre.
Lors du débat animé par des questions de Rouennais conquis, il explique ses choix et on comprend que rien n’est laissé au hasard. Quatre heures trente de maquillage par jour, des chansons créées sur mesure après des heures et des heures de recherche et de composition par Vincent et Romain, des acteurs choisis avec réflexion et passion, parmi lesquels Nicole Calfan, la chanteuse Dani, Élodie Bouchez, Tom Dingler, Pascale Arbillot (et quelques sympathiques surprises), des heures de répétition, un peu d’improvisation et un sens du rythme musical et scénaristique indiscutable.
Bref, un cocktail détonnant qui entraine les spectateurs au plus profond de l’humain, les plaçant face aux questions de la paternité, des traces laissées après la mort, de l’amour de la vie…
Alex Lutz explique : « je me refuse à traiter quelqu’un de ringard, je peux me moquer ouvertement de lui, mais il est hors de question que je le trouve ringard. Je ne voulais surtout pas que ce film soit une parodie, une succession de sketchs, c’est pourquoi nous avons tourné toutes les scènes avec la plus grande sincérité ». Envie de rire ? De chantonner Dadidou des heures (des jours ?) après la fin de la projection ? D’être touchés en plein cœur ? De prendre une bonne bouffée d’air ? Courez voir GUY d’Alex Lutz en salle à partir du 29 août !